Maria, de Pierre Pelot, Eho
Avec "Maria" PIERRE PELOT PLONGE DANS LES ARCANES DES FAUX-SEMBLANTS
Je ne le connaissais pas. Ou alors si peu. Pourtant, lorsque nous nous sommes rencontrés dans ce restaurant bruxellois qui sentait la cuisine de brasserie, la frite et le stoemp saucisse, il s'est passé quelque chose d'étrange, de l'ordre de la confiance. Pourtant je n'avais rien pour le séduire avec mon costume-cravate, et mon air de banquier privé plus habitué aux salons feutrés de certains clubs privés. Si ce n'était mon amour de la littérature et l'intérêt sincère que je lui portais.
Il fallut du temps, de la patience. L'animal était sur ses gardes. Je sentais qu'il me reniflait, m'analysait de son regard perçant. Et puis, magie! Il s'est libéré. Il s'est confié. Nous partagions de mêmes blessures, de mêmes amours... coulait dans nos veines une même tendresse.
Sans doute est-ce pour prolonger la pensée de Faulkner – “Ceux qui peuvent agissent. Ceux qui ne peuvent pas, et souffrent assez de ne pas pouvoir, écrivent” – que Pierre Pelot prit un jour la plume pour conter des histoires. La crinière en bataille, le regard lointain, l’homme écoute, joue des silences, slalome entre l’intime et l’absolu.
Comme Fénelon, il “se souvient de la fragilité des choses humaines”. La voix est lancinante, le propos prudent, parfois souligné par un mouvement du bras gauche où trône un dragon tatoué à l’encre noire. Il analyse, commente : l’enfance, la terre, la difficulté d’être un adulte. Il s’illumine à l’évocation du prénom de Maria, héroïne de son dernier roman, dont il raconte l’existence à travers des fragments de vie.
Dans les Vosges sous l’occupation nazie, une jeune institutrice est enlevée par les partisans car son époux collabo est également suspecté d’avoir dénoncé 65 résistants. Que savait-elle au juste ? Maria sera torturée et violée, pour l’exemple. Cinquante années plus tard, un jeune homme vient à sa rencontre. Avec lui, les fantômes du passé et les absents du présent…
Dans ce livre court, dense, servi par une plume ciselée et épurée, l’auteur rappelle qu’“il faut toujours se méfier des apparences”.
Selon vous, “vivre avec la haine n’est pas si mal”. Peut-on réellement bâtir sur ce sentiment ?
“La haine peut se révéler une forme de dignité par rapport aux choses vécues. C’est aussi un moteur. Elle peut sommeiller longtemps… Et puis, un jour, vient la vengeance !”
Alors, il n’y a plus de raison d’exister…
“La vengeance apporte une sorte d’apaisement. Ce sera le cas de Maria qui y trouvera une nouvelle raison de vivre.”
Pourquoi est-ce un thème récurrent dans vos livres ?
“Dans mon imaginaire, le héros est un redresseur de torts. Éternel révolté, j’aurais pu basculer. La plume m’a tenu à l’écart des chemins de la délinquance. Écrire me permet d’être un hors-la-loi dont la tête n’est pas mise à prix.”
Quelle est l’origine de votre boulimie d’écriture ?
“D’abord, l’envie de raconter. Ensuite, trouver des choses qui m’appartiennent. Finalement, j’existe peu. L’important : être au service du récit.”
N’est-ce pas une manière de fuir la réalité ?
“Certainement ! À quatorze ans, on m’a sommé d’entrer dans le monde adulte : trouver un travail, assumer des responsabilités… le choc fut brutal et insupportable !”
Écrire, est-ce entretenir un certain infantilisme ?
“Surtout, c’est le moyen de prolonger cet état de grâce et d’innocence qu’est l’enfance. Si je ne suis pas en phase avec la réalité, c’est parce que j’ai zappé l’étape d’initiation qui consiste à devenir un homme. Avec le temps, j’ai compris qu’il y a une histoire que je ne contrôle pas et que je ne pourrai jamais corriger : la mienne ! Écrire, c’est donc un moyen de maîtriser une certaine forme de vie.”
Pierre Pelot a écrit près de 200 livres. Maria, le dernier d’entre eux, sera bientôt adapté en téléfilm.