Entrez dans la danse, Jean Teulé
Jean Teulé a vécu de hasards, exercé des professions sans les choisir. Lui, le romancier, n'hésite pas à clamer qu'il ne lit pas ou peu de romans et « qu'en dehors de sa correspondance, Flaubert m'emmerde ! ». Il est là Teulé, sans filtre, libre, en digne enfant d'Hara-Kiri.
Il déploie son immense silhouette d'albatros pour vous accueillir d'une poignée de main franche, alors que, là-haut, son œil agile, en poste de guet, observe, analyse à qui il a affaire. D'entrée, il y va, cash, à l'os, comme dans ses livres, : « On vit une époque angoissante où tout se referme. Surtout, oui surtout, c'est le grand retour des cons ! » Voilà pourquoi Jean Teulé écrit, pour célébrer certes le génie, la lumière de Rimbaud, Verlaine ou Villon mais aussi pour éclairer le présent en puisant dans l'Histoire des récits hallucinants où les Hommes poussés au-delà du supportable basculent dans la folie. « Quand je regarde le monde d'aujourd'hui, nous ne sommes pas loin de faire le grand saut, de passer de l'autre côté », souligne-t-il. « Et sans doute, sommes-nous proches d'Entrez dans la danse », se référant ainsi au titre de son dernier opus.
Entrez dans la danse ou l'histoire incroyable, pourtant authentique, d'une bien étrange épidémie qui frappa la ville de Strasbourg en 1518. Juillet, la chaleur est intense. Les gens sont au désespoir. C'est la famine. Plus rien à manger (même plus un chat ou un rat), plus rien à boire si ce n'est un léger filet de boue et de vase. Alors que les greniers du clergé sont plein à craquer mais demeurent fermés au profit d'une spéculation sur les matières premières, la population en est réduite à bouffer ses morts… Dans cette horreur, cette géhenne, Troffea (qui vient de tuer son enfant) se met à danser de manière compulsive, sans pouvoir s'arrêter. En quelques jours, des milliers d'autres citoyens la rejoignent, dansant à en mourir le jour, la nuit, dans les rues, sur les places, dans le sang, dans les déjections. « Il n'y a pas d'explication à cette crise collective si ce n'est le désespoir. Puisqu'on en est là, que nous n'avons plus que notre corps, et bien dansons ! ». En filigrane, c'est une autre partie qui se joue, celle du pouvoir. Et l'auteur d'utiliser sa plume crue, acide, truculente, goguenarde pour tirer tous azimuts : l'église catholique, les bourgeois, les politiques, l'argent...
A le lire, à l'écouter, Jean Teulé croit-il en l'individu? Peut-être. En l'Homme? Certainement pas. Il paraît réserver sa foi à la ronde du temps : « là où s'intègrent de grands mouvements de balancier qui vont d'un extrême à l'autre avec, au milieu, un point d'équilibre, une parenthèse heureuse dans l'histoire de l'humanité ».
Entrez dans la danse se révèle captivant, hypnotique, dérangeant… conté avec une forme d'humour où, d'un clin doeil, l'auteur se revendique tant de C.Jérôme que d'Esope et d'Ezéchiel.