Nous sommes deux, Marianne Rubinstein

C'est l'histoire d'une gémélité en déliquescence, celle d'Arthémis et d'Appolon en nos temps modernes. Autour de ce noyau, trois familles incarnent le passé confronté aux fragments existentiels contemporains. En filigrane, la réalité du couple où s'inscrit, dans l'ombre, l'infidélité, la disparition, la maladie, le deuil, la résignation et la résilience.

C'est donc l'histoire d' Emma et d'Axel, jumeaux. Ils ont la trentaine débutante et ont toujours grandi ensemble, considérés par l'extérieur comme une seule entité. En parfaite synchronicité, ils rencontrent chacun l'âme soeur. Pour conjurer la séparation, ils décident de célébrer leurs noces le même jour, au cours d'une fête unique dans le château des beaux-parents d'Axel. Ce dernier épouse Philippine, fille d'Aristocrates. Emma s'unit à David, jeune chercheur issu d'une famille juive traditionnelle, les Cohen. Une histoire banale, somme toute... Banale? C'est sans compter sur le talent de Marianne Rubinstein qui, en nouvelle Ariane, tisse un labyrinthe littéraire où elle explore l'intimité du sentiment, la complexité des rapports familiaux, l'enfance et ses résonances, le choc des cultures, l'identité,... De sa plume alerte et fluide, l'auteure esquisse le portrait d'une génération, d'une époque.

Emma va se convertir au judaïsme. Axel suivra une formation accélérée au catholicisme. De ces deux mondes, vous soulignez d'étonnantes convergences...

"Les deux familles sont de cultures minoritaires. Elles ont le sens de la tradition et de la transmission. Chacune à sa manière évolue avec le choc transgénérationnel de la persécution. Inconsciemment, elles tendent vers des valeurs communes".

Quelles réactions va entraîner la séparation des jumeaux?

"Comme dans la fission nucléaire, la séparation d'un noyau libère des énergies qui vont induire des réactions en chaîne. De ce démembrement, jaillit une forme de chaos explosant l'équilibre des cellules familiales. Les parents, mais aussi les proches, vont interroger leurs valeurs et les fondements de leurs existences".

Aucun couple n'en sortira indemne. Le mariage, est-ce une illusion?

"Les gens heureux n'ont pas d'histoire! Un illusion? Certes non. Une réalité? oui. Simple? jamais... Au-delà, le socle du couple réside dans les accommodements. Chacun arrive avec son passé, ses non-dits, ses craintes tues... et l'un tente de s'ajuster à l'autre".

Pourtant, tous les couples de votre roman semblent connaître une erreur de casting. Le mythe de l'Androgine n'existerait-il pas?

"Ce livre se concentre sur la défusion. Le couple parfait, dans le sens platonicien, ne me semble pas réel. La cohabitation de deux êtres sur une longue durée, ne peut être que complexe, génératrice de conflits, de heurts, de renoncements... Mais l'amour, le temps, peuvent construire quelque chose d'unique et de merveilleux. Cette course d'obstacles exhalte aussi une grande douceur"

Chez vos personnages, la défusion débute au moment où le sacrifice originel devient leur préoccupation centrale...

"Le couple idéal devrait fonctionner autour de concessions sans jamais annihiler ce que chacun est réellement, profondément."

"Nous sommes deux" révèle un roman choral aux thèmes multiples, dans l'air du temps, où l'auteure évite tous les clichés. Un voyage au coeur de la fission et de la défusion, qu'elles soient amoureuses, générationnelles, identitaires ou gémellaires. 

L'alternance de chapitres courts mène le lecteur dans les arcanes de ce labyrinthe où, en kaléidoscope, il suit le layon intime de chacun. Un récit millefeuille. Et Marianne Rubinstein, en fildefériste de l'instant, d'entrelacer introspection, profondeur et légèreté, livrant une réflexion intime qui, au fil des pages, touche à l'universalité. Bref, un régal!