Céline ‘s band, Alexis Salatko
Le hérisson vénéneux
Alexis Salatko tente de comprendre Céline et célèbre Marcel Aymé
« Une biographie, ça s’invente ! » confie, dans une lettre à Arthur Miller, l’auteur du « Voyage au bout de la nuit ». Sans doute, cette confession confirme le sens d’une existence fragmentée dont l’ambiguïté demeure à jamais le fil d’Ariane. Honni, adulé, Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, traînera ce pseudonyme dans toutes les fanges; c’était pourtant l’un des prénoms de sa mère. Ce qui marque Céline à vingt ans ? Un mythe sordide : la guerre. La grande ! Celle de 14, dont il reviendra escamoté, brisé, trépané et qui désarticulera son destin. Certains ont parfois tenté de distinguer les textes engagés et délirants des grands livres du romancier. Or, il faut prendre l’homme comme un bloc dont les œuvres demeurent autant de chroniques, souvent dévastatrices, toujours annonciatrices d’un monde qui s’écroule. D’où la tentation d’en faire un anarchiste. Et de droite, qui plus est ! Mieux vaudrait le voir comme un moraliste radical. Céline ne croit en rien et se nourrit de l’idée que la nature humaine est irrécupérable…
Alors que le 1er juillet 2011 marquait le cinquantième anniversaire de sa disparition, éclipsée à l’époque par le suicide d’Hemingway, surgit une avalanche de biographies et d’essais. Des ouvrages à foison, parmi lesquels un roman : « Céline’s band » signé Alexis Salatko où l’auteur d’ «Horowitz et mon père » restitue la France des années trente et le Céline, quadra, vivant au pied de la butte Montmartre entre ses livres, ses patients et ses amis. Ah ! ses amis … Gen Paul, Robert le Vigan et surtout Marcel Aymé ; sorte de Buster Keaton, qui se fâcha avec Céline au début de l’occupation, pour ensuite le défendre devant les tribunaux d’après-guerre et le rejoindre au Danemark, en 1951, là où tente de survivre en résidence surveillée, l’homme de « Mort à crédit ». C’est cette épopée romanesque que conte, avec souffle et gouaille, Axelis Salatko. C’est aussi l’occasion, pour ce grand admirateur de Rembrandt et Balzac, de construire un ouvrage en clair-obscur où le narrateur se confronte à Maximilien Hardelot qui connut tant le docteur Destouches que l’écrivain Céline.
Le narrateur, ce jeune adolescent désemparé, c’est bien vous ?
« Bien entendu »
Céline’band, n’est-ce pas avant tout un hommage à Max ?
«Au cœur d’une adolescence difficile, Max à beaucoup compté. Il était le compagnon de ma marraine. Ils m’ont accueilli dans un moment de détresse. Il m’a fait découvrir Céline, m’en a parlé avec sincérité. Au-delà, il a su partager et devenir une référence dans mon existence chaotique ».
Pourquoi avoir choisi d’éclairer la relation avec Marcel Aymé ?
« Sans Marcel, ce livre n’aurait pas existé. Personnage timide, bégayant, qui, malgré de profonds désaccords avec Céline, lui conservera toujours son amitié même au péril de sa vie; faisant le voyage au Danemark, partageant sa gloire et sa misère. Quelle leçon!»
Vous évoluez, « fildefériste », entre un Céline abject et un auteur génial…
«Je tente de dépassionner le sujet, sans rien occulter. Comment un homme qui avait tout a pu se transformer en un hérisson d’angoisses et de haine? Il y a l’époque, les années trente, dans son contexte politique et culturel. Et puis, il y a l’homme : en lutte œdipienne, de parents antidreyfusard, marqué dans sa chair par 14-18, … Il crachait sur tout et tout le monde mais ne soignait que les pauvres. Il n’en était pas pour autant humaniste. Je n’excuse rien: ni son antisémitisme ni sa verve vénéneuse! »
Ce livre, vous en parlez comme d’une douleur…
« Ce roman ma plongé dans mon adolescence, ma relation parentale compliquée. Au-delà du thème, il a éveillé une réflexion sur moi-même. Je l’ai écrit avec mon cœur, ma tête et mes tripes ».
Aujourd’hui, que vous a-t-il apporté?
« Il m’a encore rapproché de Max ! Plus globalement, dans une époque, la nôtre, qui se veut étriquée, anxiogène, il a exalté mon besoin de démocratie et de liberté ».
Interview -> Didier Debroux
Céline ‘s band, Alexis Salatko, Robert Laffont