Ecrire est une enfance, Philippe Delerm
Dans la famille Delerm, je convoque le père, Philippe. Celui qui incarne presque en carricature le prof de lettres. Cheveux mi-longs, barbe blanche, costume en velour fines rayures, pull à col roulé, "Le Monde" dans la poche et "Télérama" au fond du vieux cartable en cuir usé. Celui aussi qui consacre sa vie aux petits bonheurs, comme écosser les petits pois, respirer l'odeur des pommes...
J'avais surtout apprécié son livres "Traces" un condensé de «petits» textes, dont le fil directeur pourrait être tout simplement la vie et la nostalgie. Trente-quatre textes et des photographies de sa femme, Martine Delerm, pour observer «les traces du passage du temps», des autres, des rues, des moments: de la buée sur une vitrine, des affiches qui se décollent, un album photo, un cimetière de bateaux, le feu d'artifice, les noms des rues, les chemins de fer…
Dans ce livre bref, on retrouve tout ce qui fait la magie de l'auteur: son sens de l'observation, il voit ce que nous ne voyons pas et c'est pourtant là, devant nos yeux. Il sait raconter mieux que personne, en quelques mots, ces tout petits riens de l'existence qui font presque tout. Delerm est passé maître dans l'art de croquer des instants d'existence, et de nous les rendre avec ce sourire bienveillant et gentiment moqueur qui nous fait aussi penser à la poésiede Sempé.
Comment devient- on Philippe Delerm? Passion et justesse se disputent cet esprit singulier, agrippé à ses rêves d'enfance, qui ne truque pas ses souvenirs pour faire le beau. Un écrivain «vrai» .
Dans son dernier opuscule, "Ecrire est une enfance", Delerm se pose la question "Pourquoi est-ce que j’écris ?" À soixante ans, il se livre pour la première fois et s’interroge sur la genèse de son écriture, son parcours d’homme et d’écrivain. Avec lucidité et une certaine mélancolie, il évoque tour à tour ses premières rédactions d’écolier, ses parents instituteurs, sa rencontre avec les livres pour braver l’isolement d’une longue maladie infantile, sa timidité extrême et la difficulté d’expression des premiers émois, son renoncement au journalisme sportif, la rencontre essentielle avec sa femme, sa propre carrière de professeur de lettres, ses influences (Proust, Léautaud, Jules Renard, René Guy Cadou…), ses filiations, ses parrains de l’écrit (JMG Le Clézio, Jean d’Ormesson, Pascal Quignard, Alain Gerber)… Un lent cheminement jusqu’à La première gorgée de bière, au succès.
Avec une extrême sincérité, Philippe Delerm dit son attachement viscéral à l’enfance, son goût des livres, de la chanson française, de la peinture, du cinéma, de la mélancolie et du bonheur, qu’il a transmis entre les murs des salles de classes, entre les lignes de ses livres.
La phrase: "Garder l'esprit d'enfance n'est pas seulement un privilège. C'est aussi une blessure."
Points forts: Une grande sincérité, sans fausse modestie ni impudeur, des anecdotes savoureuses et un style vif.
Points faibles: Des longueurs dans l'évocation de son couple.
"L’écriture est toujours la traduction d’un manque, d’une fêlure, une façon de déplacer les atomes de la réalité", Ecrire est une enfance, Ph. Delerm, Albin michel