Quand je pense que Beethoven est mort..., Eric-Emmanuel Schmitt
Inclassable, comme son auteur, cet opus d’Eric-Emmanuel Schmitt n’appartient à aucun genre; second mouvement d’un quatuor que le philosophe consacre à ses relations particulières avec quelques grands compositeurs. Sous forme d’un diptyque, il confesse à Beethoven un amour d’adolescent passionné, auquel il sera néanmoins infidèle, s’opposant ainsi à l’unique opéra du compositeur allemand. Pourtant, cet amour resurgira des années plus tard, en contemplant un masque de Ludwig. De quoi lui inspirer une courte fiction : Kiki van Beethoven, l’histoire d’une sexagénaire qui, grâce à la musique, va changer sa vie et celle de ses trois amies.
Et l’auteur de philosopher autour de cette pensée, lancée jadis par son professeur de piano. “Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent” ! Si Mozart joue l’intercesseur auprès de Dieu, Beethoven est celui qui ouvre la voie de l’humain. Ouvrage pluriel donc où le dramaturge livre quelques secrets. Disciple de Platon : “Seul trouvera le bonheur celui qui, tourné vers l’océan de la beauté et contemplant ses multiples aspects, aura acquis l’esprit fortifié et grandi”; Schmitt, comme Beethoven, fait sienne cette conception éthique de l’art, s’assignant une mission morale : atteindre la noblesse d’âme.
Beethoven, c’est l’homme pour l’Homme ?
“Mozart, c’est l’émergence de la grâce. Inexplicable. À l’inverse, Beethoven cherche dans l’humain l’étincelle qui nous bouscule. Il refuse la fatalité et pousse l’Homme à forger l’humanité.”
Serait-il proche d’Érasme qui dit “L’homme ne naît pas, il le devient” ?
“Il ne s’occupe pas de Dieu, mais il prêche une conversion spirituelle. Sa musique présente une conception de la vie qui n’est pas illusoire. Il faut transcender la douleur pour y échapper, entrer dans la joie et dans une relation de plénitude en harmonie avec la nature et les événements.”
Sa musique n’est-elle pas une conjonction de tragique et d’optimisme ?
“C’est là où je m’identifie à lui. Bien que nos vies soient éphémères, Beethoven exalte le sens de l’existence. Il montre le chemin de l’héroïsme.”
N’est-il pas un peu épuisant ?
“Tout en lui est sonore, dense, agité, tonitruant. Jamais il ne nous laisse en paix. Certes, il se révèle un compagnon difficile, mais tellement nécessaire.”
Lui, le torturé, le tumultueux, a-t-il atteint cette plénitude ?
“J’aime à croire qu’il s’endort heureux. Son dernier quatuor en témoigne. Les notes célèbrent l’accomplissement personnel, existentiel, moral et spirituel.”
Et vous ?
“Le bonheur ne consiste pas à s’écarter des douleurs mais à embrasser l’existence. La sagesse signifie accepter la vie, s’abandonner, cultiver la joie. La route est encore longue…”
Interview – > Didier Debroux